Stratégie de défense face aux personnes toxiques
Il y a longtemps, j'ai fait un article sur les relations toxiques, en disant que faire le ménage dans son carnet d'adresses faisait partie de la simplicité volontaire. J'évoquais aussi la difficulté de se libérer de personnes toxiques qui sont trop proches de nous (famille, patron, collègue...)
S'il existe donc des personnes toxiques qu'on ne peut "éliminer" de notre champ relationnel, on peut en revanche s'en protéger grâce à une stratégie de défense qui m'a été conseillée par une psy.
Cela consiste à ne pas se justifier (d'où mon intérêt pour la citation de Jules Renard). Nous passons une grande partie de notre temps à expliquer aux autres la raison de nos agissements, de nos paroles.
On justifie notre décoration : "il est tellement pratique!" alors qu'on n'ose pas affirmer qu'on adore ce vieux porte-manteau démodé.
On justifie notre mine déconfite : "je suis fatiguée en ce moment" alors qu'on devrait simplement avouer qu'on déteste passer 2 heures le matin à se maquiller/brusher/chignonner
On justifie le comportement de nos enfants : "il est timide" alors qu'on devrait oser dire qu'il n'aime pas les bisous
On justifie le comportement de notre mari : "il a tellement de pression au boulot, il ne va pas bien en ce moment" alors qu'on devrait juste expliquer que le trip fan-club de copines qui l'attendent à la sortie du bureau, c'est pas pour lui
On justifie les programmes qu'on regarde à la télé, les gestes écolos qu'on fait ou qu'on ne fait pas, notre salaire, notre métier, notre âge, nos vêtements, nos dépendances aux drogues, nos modes de vie, les modes de garde ou de non-garde de nos enfants, le fait qu'on allaite, le fait qu'on biberonne, le fait qu'on porte des strings ou des culottes, le fait de pratiquer un sport ou non, notre bouffe... bref, je vous mets au défi pendant une seule journée de ne pas expliquer pourquoi vous avez tel ou tel comportement ou habitude.
Assez simple à reconnaître, la justification commence souvent par "oui mais" ou par "comme ça, je ..." ou par "parce que ça..."
Selon le dictionnaire, "justifier" signifie "innocenter quelqu'un en expliquant sa conduite et en démontrant que l'accusation n'est pas fondée" ! "Se justifier" signifie "prouver son innocence, son bon droit"
Cela impliquerait donc que nous nous sentons quasiment constamment jugé, attaqué, accusé dans nos choix et nos comportements.
Si ce n'est pas catastrophique avec la plupart des gens, c'est par contre donner entièrement raison à une personne toxique. Effectivement, celle-ci n'ayant pas le même fonctionnement mental que les autres, va se servir de vos justifications pour vous enfoncer encore plus. D'abord, vous justifier montrera bien que vous êtes "coupable" puisque vous vous sentez obligé de vous excuser. Ensuite, la masse d'informations que vous allez donner dans votre justification sera autant d'éléments nouveaux sur lesquels la personne toxique pourra rebondir pour vous en mettre plein la figure.
Cette psy m'avait donc conseillé de me forcer à rester dans la stricte réponse à la question. Cela paraît simple, c'est en réalité très compliqué mais terriblement efficace. Pour l'avoir testé avec la plus manipulatrice personne que j'aie jamais rencontrée, je vous assure que ça marche.
Répondre à la question, c'est quoi? C'est limiter le champ de cette question.
Lorsqu'on nous demande " Tu aimes regarder la télé-réalité?", on entend en fait "n'as-tu pas honte de regarder des trucs aussi bêtes?" ou bien "tu pourrais faire ton repassage au lieu de fainéanter!" ou bien "je ne te croyais pas aussi accro" ou n'importe quoi en fonction de la personne qui pose la question.
Alors qu'en fait, cette question attend deux réponses possibles (attention, prenez des notes, ça va décoiffer!) : OUI ou NON.
C'est notre habitude à faire sortir la question de son cadre qui nous pousse sur le chemin de la justification. Alors qu'en répondant juste à la question posée, on limite forcément les réactions en face, d'autant plus qu'une réponse aussi laconique affirme notre position de manière bien plus impressionnante qu'un long discours explicatif et il est fréquent que la personne en face ne nous en demande pas plus.
Imaginons un dialogue :
" - As-tu appelé ton frère?
- Non. Je n'ai pas eu le temps, cette semaine, j'avais plein de boulot et puis le petit a été malade, j'étais débordée.
- De toute façon tu es toujours débordée. Un coup de fil, c'est pourtant pas difficile à passer.
- Oui mais la dernière fois que je l'ai appelé, il n'avait pas le temps alors...
- Avec toi c'est toujours la faute des autres. Tu ne penses pas à ta famille c'est tout.
- Si mais tu dois comprendre que j'ai ma vie à gérer, blablabla
- Oh ta vie! ta vie! tout le monde a une vie à gérer blablabla"
Et c'est parti pour 2 heures de prise de tête.
Imaginons maintenant qu'on arrête de se justifier :
"- As-tu appelé ton frère?
- Non, pas cette semaine
- Ah... Quand même, un coup de fil, c'est pourtant pas difficile à passer!
- Oui c'est vrai!
- On dirait que tu ne penses pas à ta famille.
- Si, si, je pense à vous.
- ...................."
Imparable : il n'y a rien à répondre à ça, la personne toxique manque d'éléments pour rebondir et finit par s'épuiser avec de pauvres arguments.
Autre chose, il faut absolument éviter de rentrer dans le jeu affectif de la personne toxique (culpabilité, chantage, insultes) Pour cela, il faut s'en tenir aux faits et à eux-seuls. D'autre part, il faut toujours renvoyer la personne à sa propre responsabilité dans l'histoire.
Dernièrement, ma mère et moi avons eu une altercation à propos d'une fête de famille que j'organisais. Ma mère est spécialiste pour passer ses nerfs sur moi en utilisant n'importe quel prétexte et en me faisant croire surtout que je suis à l'origine de sa mauvaise humeur (souvent due à tout autre chose) Lorsque je l'ai appelée, j'ai tout de suite senti que ça se passerait mal, j'ai respiré un grand coup et je me suis mise mentalement en position de défense, bloquant tout procédé de justification.
La conversation a démarré comme cela :
"- Ah tu m'appelles enfin!
- Oui. (réponse à la question)
- De toute façon, je m'étais dit que si tu ne m'appelais pas avant demain, je n'irais pas à ta fête dimanche!
- Je ne vois pas le rapport! (erreur, car il y a déjà de l'agressivité dans cette phrase. J'aurais dû répondre : ah!)
- Si! Le rapport c'est que tu n'en as rien à faire de moi, je peux bien mourir, tu ne le saurais même pas.
- Mais tu n'es pas morte. (rappel de la réalité)
- (délire paranoïaque et diarhée verbale) Puisque c'est ça je ne viendrai pas dimanche.
- C'est dommage, les enfants vont être déçus, mais tu fais comme tu veux, c'est toi qui décide. (responsabilisation : je renvoie la bombe à celui qui l'a lancée. Tu ne veux pas venir? Ce n'est pas mon problème, c'est le tien.)
- Je vois bien qu'on ne veut pas de moi, c'est pas la peine de m'inviter!
- Tu es déjà invitée, je t'ai invitée il y a deux mois. Maintenant si tu ne veux pas venir, c'est toi qui le choisit!" (principe de réalité et responsabilisation)
Etc, etc... tout ce que je peux vous dire, c'est que pour la première fois de ma vie, la conversation a duré moins de 20 minutes, que je n'ai pas fini en larmes, que je n'ai pas crié et que j'ai eu le sentiment jouissif et merveilleux d'avoir été maître, non de la situation, mais de ma propre destinée! Et ça c'est merveilleux, car je ne me sentais absolument plus pris dans son chantage perpétuel!
Ne pas se justifier, c'est donc :
- simplement répondre à la question posée
- revenir toujours à la réalité et fuir comme la peste les digressions affectives
- responsabiliser l'autre pour ne pas être englué dans ses décisions
- répéter en boucle comme un robot.
Depuis que je fais ça, j'ai l'impression d'avoir vraiment cadré les personnes toxiques qui me pourrissaient la vie et surtout, d'avoir repris le contrôle de ma vie.